Wardruna - Kvitravn
Dernière mise à jour : 3 avr. 2021

A l’ombre du monstre de neige, je reprends mon souffle, mes poumons semblent se geler alors que la langue de glace pénètre dans ma gorge. Essoufflé, je lève lentement la tête vers le ciel, le soleil perce le flan de la montagne entre les sapins acérés, m’éblouissant de ses rayons ardents et réchauffant doucement mon visage endolori. Derrière moi, en contrebas, la vallée se glisse aux pieds du géant de pierre comme un serpent vert fendu d’un dos gris profond, la rivière coule lentement vers les fjords recouverts d’éclats de diamants qui s’étendant jusqu’à l’horizon.
Je ne sens plus mes jambes, mes pieds encore moins, mon cœur bas violemment sur mes tempes, mon esprit s’égare un instant, j’entends pourtant toujours cet appel, ce cri rauque et perçant, lancinant. Entre les troncs droits comme des lances, j’entrevois des silhouettes tordues, des corps velus étrangement arc-boutés au-dessus de la neige épaisse qui semblent surgir de nulle part pour disparaître aussitôt.
Chassant les esprits de la forêt de mon esprit, je reprends ma lente ascension, maudissant les dieux de m’affliger une telle épreuve. Mon bâton fait de trois branches de cèdre entrelacées me meurtri la main gauche, mon bras ankylosé le soulève lentement, privé de sa force légendaire.
Finalement j’entrevois ma destination, à travers les rayons dorés du soleil, un gros promontoire rocheux surgit de la neige, telle la lame d’une épée qui transperce une poitrine blanche.
Utilisant mes dernières ressources pour atteindre la roche salvatrice, je me hisse péniblement sur la plate-forme froide et glissante recouverte d’une légère couche de glace, telle du verre liquide figé par une magie ancestrale.
Debout sur mes deux jambes, le dos droit et la tête fière, je fais face à la grotte sacrée, entourée de chaos rocheux titanesques, elle fend la montagne en une plaie impressionnante, réalisée par quelques hâches de créatures gigantesques issues du fin fond des âges.
Mon regard tente de percer l’abysse et de voir ce qui se cache au-delà de cette entrée, mais en vain. Je décide alors d’approcher lentement, mon sang semble se réchauffer comme par magie et mon esprit s’empli des cris incessants qui m’ont guidés jusqu’ici puis brusquement le silence, doucement interrompu par la brise glaciale de Norvège. Deux corbeaux se posent alors au bord du promontoire, l’un noir comme la nuit, l’autre blanc comme la neige. Ils me regardent d’un œil et croassent doucement comme s’ils m’invitaient à entrer.
Alors, comme sous l’impulsion d’une force bien au-dessus de moi, je me mets en mouvement et pénètre dans le corps de la montagne. Je ne sais combien de temps j’ai marché ainsi, perdu dans l’obscurité complète, perdant petit à petit toute notion de temps et d’espace, jusqu’à ce qu’un son parvienne à mon oreille. D’abord qu’un lointain soupir, puis un rythme lent et répétitif, une respiration, un battement de cœur qui n’est pas le mien . Une masse immense semble alors se mettre en mouvement près de moi et soudain un corps massif recouvert d’une fourrure chaude m’enlace brutalement avec une force incroyable. Je tente vainement de me dégager de l’emprise toute puissante lorsque que je sens une vive morsure au niveau de mon bras droit, puis un coup violent semble m’arracher la moitié du ventre.
La vie s’écoule lentement de mon corps alors que la bête se nourri de moi, les coups répétés font basculer mon esprit, je vois des yeux de loups me regarder à travers la pénombre, j’entends le cris des corbeaux, mon âme se détache du monde des hommes.
Alors que la douleur s’en va, je surplombe mon corps dépecé, déchiqueté par un ours immense qui interrompt alors son festin pour me fixer un instant, comme s’il voulait me dire quelque chose. Il est temps pour moi le temps de m’envoler, libre, au-dessus des forêts sombres, des fjords brillants, de mers dansantes. Je fus un temps un loup blanc dévorant un cerf, un aigle plongeant entre des nuages grands comme des montagnes, la baleine planant au-dessus des étendus sablonneuses des fonds marins, le renard traçant son chemin dans la neige à la recherche de ses petits. Je suis la nature, je suis un tout car me voilà tel que je suis, l’homme fait animal, la sève de l’arbre de vie palpite en moi, nourri mon esprit, l’éternité s’ouvre à moi, la nature m’accueille en son sein, je suis ours. Enfin.